Il a réinventé, pour ne pas dire révolutionné, le film d’action à Hollywood dans les années 80-90, lui apportant une lisibilité largement perdue depuis et un supplément d’âme dans des plans qui touchaient parfois à l’onirique et à l’abstrait.
Grand entretien avec John McTiernan
Face au cinéma patriotard, guerrier et cynique du reaganisme triomphant, il s’est toujours intéressé à l’autre et à sa langue, jusqu’à faire d’un poète musulman le héros d’un film de Vikings, et a imposé dans son cinéma antiautoritaire des héros prolétaires, insoumis face aux nantis, comme il l’était face à ses producteurs. Des hommes, pas des héros surpuissants, filmés à hauteur d’homme, car John McTiernan, avant de penser faire du cinéma, avait précisément étudié l’anthropologie, et ses films racontent aussi, à leur manière, tout ce qu’il peut y avoir de primitif, ou de millénaire, dans la civilisation occidentale. Ses Predator, Piège de cristal (son adaptation secrète du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare!) et sa suite une journée en enfer, ses A la poursuite d’Octobre Rouge, Le 13e Guerrier et Thomas Crown, sa réflexion méta sur son art qu’est le mésestimé Last Action Hero, l’ont installé dans le cœur des cinéphiles comme un des plus grands cinéastes américains de la fin du siècle dernier. L’homme, victime d’une lutte à mort contre les studios, n’a plus rien tourné depuis 2003, et a même passé un an en pénitencier fédéral suite à une rocambolesque affaire de parjure au FBI. Ce qui ne l’empêche pas d’être régulièrement l’invité d’honneur de festivals dans le monde entier. Ce fut le cas il y a un mois, au Festival européen du film fantastique de Strasbourg, et nous en avons profité pour venir le rencontrer.
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Faire des films d'action
"La plupart de nos apprentissages et de nos interactions passent par le regard. J'ai toujours essayé de faire des films où les personnages n'étaient pas stupides et agissaient comme de vraies personnes: une épouse peut regarder son mari, aucun mot n'est utilisé, mais une décision est prise ou quelque chose comme ça… J'ai essayé de représenter ça dans mes films.”Sans doute est-ce la raison pour laquelle le cinéma d'action l’a intéressé en tant que réalisateur, parce qu'il met celui qui le regarde en situation de voir ce qui se passe et non pas d'écouter des gens qui parlent lui raconter quelque chose; c'est une communication précisément non-verbale qui se joue entre les images et le spectateur. "Mais tout ça,tempère John McTiernan,c'était un accident. Je n'étais pas parti pour faire des films d'action, je voulais simplement faire des films que je trouvais intéressants. Ily avait un script qui contenait une histoire et j'ai essayé de raconter des histoires le mieux possible en réalisant des films. Et si ça devait prendre la forme d'un film d'action, très bien! Vous savez, les gens ont tendance à vouloir que vous fassiez des films que vous avez déjà faits. C'est pourquoi on m'a demandé ensuite de faire beaucoup de films d'action. J'ai reçu de nombreux scénarios, refusé de réaliser des dizaines de films. J'ai l'impression que les films d'action aujourd'hui sont remplis de haine et ce ne sont pas de ceux que j'ai envie de réaliser." Et quand on interroge le cinéaste sur John Ford, avec qui il a en commun d'avoir des origines irlandaises et une filmographie associée au même genre cinématographique, il ajoute:"j'ai regardé tous ses films, étudié son travail et je crois que ma plus grande similitude avec John Ford, c'est peut-être une forme de style irlandais; nous ne prétendons pas que le film est important. Le film est un divertissement. John Ford n'a jamais été prétentieux. Et j'ai essayé de l’émuler, de communiquer aux spectateurs dès le début: «nous sommes là pour nous amuser. Il s'agit d'un divertissement, si ça vous plaît. Excellent!». Nous ne sommes pas importants sur le plan social. Et paradoxalement, le travail de John Ford l'a été, il a enseigné à deux ou trois générations d'hommes américains comment se comporter. Malheureusement, il n'y a plus personne qui fasse ce genre de travail aujourd'hui…"
Filmer à hauteur d'homme
"Faire en sorte qu'il n'y ait pas un point de vue qui serait omniscient, qui en saurait plus que le personnage, avancer dans le film avec celui-ci, "n'est-ce pas ce qu'on attend de la part d'un film, que le spectateur en fasse partie, soit impliqué? Je n'ai passpécialement cherché à filmer à hauteur d'homme, mais je dirais que la plupart du temps, je filme du point de vue de la personne. Les étudiants en cinéma demandent très souvent où poser la caméra, et quelqu'un a trouvé une réponse très simple et très claire: «Où veux-tu que le spectateur soit installé dans la scène?». Je n'ai jamais pensé que le spectateur était Dieu. Il ou elle est simplement une personne qui regarde le film, qui y participe d'une façon ou d'une autre, un observateur. Mon père était avocat, il avait perdu la vue pendant la Seconde Guerre mondiale et quand j'avais 5 ans, il a commencé à m'emmener avec lui pendant qu'il interviewait des personnes et il me demandait de les observer, de lui dire de quelle façon elles réagissaient. Ça ne me semblait pas particulièrement important, mais finalement, ça m'a donné cette habitude d'être assis au milieu d'une scène et de faire attention à ce qui est en train de se passer."
Le cinéaste et ses personnages
Quand on interroge John McTiernan sur sa proximité avec certains de ses personnages et qu'on lui fait remarquer que celui de John McClane, interprété par Bruce Willis dansDie Hard(Piège de cristal), l'insoumis, le rebelle, est peut-être celui qui lui ressemble le plus, il a cette réponse: "on accuse toujours les réalisateurs de faire des films sur eux-mêmes et je ne vois pas pourquoi je serais mieux que les autres. Je n'ai jamais pensé que John McClane était comme moi, ou alors peut-être dans les aspects les plus bêtes de mon comportement, parfois... Il y a quelque chose de mécanique dans tous les films. Le réalisateur doit réfléchir à la façon dont le héros va se comporter et se projette dans la situation. Moi, je suis gaucher et je dois toujours penser à la façon dont nous allons tourner pour une personne droitière car j'ai pensé la scène en tant que gaucher et il faut tout inverser." Reste qu'il y a chez le cinéasteun intérêt flagrant pour les personnages en lutte contre l'autorité: "Je suis antiautoritaire, je suis contre l'aristocratie, je suis égalitariste, oui, mais souvent je défends un peu trop ces principes, ce qui me cause des ennuis...” DansA la poursuite d'Octobre Rouge, en 1990, il crée le personnage d'un amiral Afro-Américain, incarné parJames Earl Jones. Une représentation peu courante à l'époque,une manière de montrer que le cinéma peut être en avance sur la société: "les gens ne peuvent pas agir à moins que quelqu'un ne l'ait imaginé avant, à moins qu'ils ne l'aient vu. Donc oui, je savais ce que je faisais. [...] ll est évident que les Afro-Américains doivent être traités de la même façon que tout autre Américain et qu'ils doivent avoir les mêmes chances que n'importe quel autre citoyen. Il me semble que lorsqu'on travaille dans les médias de masse, on a une responsabilité: favoriser le progrès social.Je crois qu'il faut s'impliquer et c'est ce que j'ai toujours essayé de faire.Le changement social et très difficile à faire advenir, et je crois que voir, c'est un moyen de faire avancer les choses. On ne peut pas forcer les personnes, on ne peut pas simplement légiférer, mais on peut leur montrer et c'est ce qui leur permet de comprendre. Je ne crois pas être le seul à avoir fait ça. Je pense que ça fait partie de la morale qui accompagne notre profession."
Représenter la violence
Des questions morales qui sous-tendent également sa mise en scène lorsqu'il s'agit de représenter la violence, notamment l'usage des armes, une interrogation symbolisée notamment par un plan-séquence dePredatoroù les marines sortent d'énormes fusils, des mitraillettes, des objets et des instruments invraisemblables et tirent dans toute la jungle. Un arsenal qui finalement, ne servira à rien. "Le studio exerçait beaucoup de pression sur moi pour qu'il y ait plus de plans d'armes à feu. Personnellement, j'y étais opposé, j'avais l'impression qu'on me demandait de faire de la pornographie avec des armes et je ne voulais pas faire ça. Alors je me suis dit que je pourrais répondre à leur demande mais d’une façon plus morale et qui me satisferait. J'ai donc créé cette scène et j'ai dit au studio: «Je vais vous donner cinq minutes de fusillades avec toutes leurs armes. Faites-vous plaisir». Et suite à cette scène, un des personnages revient et dit:«Nous n'avons rien touché». Et je pensais que je pouvais résoudre cette question de cette façon. Ce n'était pas le cas. Les gens du studio étaient tellement satisfaits par cette débauche d'armes à feu que durant les dix années qui ont suivi, ce type de scène a été mis dans tous les films. J'ai dû aussi faire la même chose dans la série desDie Hard; vous avez vu ça aussi dansMatrix,et dans bien d'autres films, encore et encore. Souvent, on ne réussit pas à vaincre le monstre.Ça a été un échec, mais à ce moment-là, je croyais vraiment être plus intelligent qu’eux!"
A lire aussi:Pour explorer plus avant la passionnante filmographie du cinéaste, on ne saurait trop vous recommander la lecture du tout premier ouvrage qui lui est consacré, John McTiernan, Cinéma Total, un très stimulant livre collectif qui confronte les points de vue éclairés et éclairants de critiques, historiens et hommes de l’art, aux éditions Le Feu Sacré, dans sa nouvelle collection La Forge.
Le journal du cinéma
Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, d'Emanuel Pârvu
C'est dans le Delta du Danube, un des plus beaux, et plus âpres lieux du monde qu'Emanuel Pârvu, qu’on connaissait comme acteur notamment chez Cristian Mungiu (c’est le procureur de Baccalauréat ), a situéson troisième long métrage (le premier à sortir en salles, puisque les deux premiers, Meda ou Le moins bon côté des choses et Mikado étaient sortis en France directement sur plateformes), Troiskilomètres jusqu’à la fin du monde,cette histoire d’homophobie ordinaire, soit le calvaire d’un jeune garçon surpris à en embrasser un autre. Emanuel Pârvu, inspiré autant par Eric Rohmer que par Abbas Kiarostami, un est un grand artiste du plan, de sa profondeur, de sa composition et de sa durée, et un fin analyste de ce que 50 ans de communisme roumain ont laissé, encore aujourd’hui, de corruption dans les esprits et les pratiques. Ce film, quisigne la naissance d’un grand cinéaste, était en compétition au dernier Festival de Cannes, il en est reparti avec la Queer Palm. Nous l’y avions reçu en direct, et nous vous proposons de réécouter un extrait de cet entretien…
La chronique de N.T. Binh:Golden Eightiesde Nicolas Brevière
Un bébé encombrant laissé sur le pas de la porte de trois célibataires, c'est l’argument de départ de 3 hommes et un couffin, énorme et inattendu succès, plus de dix millions d’entrées, de l’année 1985, qui rapportera dix fois sa mise à son heureux producteur, Jean-François Lepetit. 1985, c’est le mitan de ces années 1980, souvent décriées comme une décennie faible dans l’Histoire du cinéma français. Et pourtant, on peut sans doute y trouver la source de ce qu’il est aujourd’hui. C’est en tout cas la thèse d’un volumineux ouvrage qui vient de paraître: Golden Eighties., sous-titré «La guerre entre Louis de Funès & Marguerite Duras». On le doit à un producteur de cinéma, Nicolas Brevière, et la moindre de ses originalités n’est pas, précisément, de questionner cette décennie sous l’angle de la production. Que s’est-il joué dans cette décennie, selon N.T. Binh, lui qui y a vécu ses débuts de critique, à Positif?"La grande originalité de ce livre fleuve, c’est de plonger le lecteur dans le cinéma vu à travers la production, c’est-à-dire dans les aventures des producteurs essentiellement, mais aussi dans les films eux-mêmes. On y trouve une rubrique qui consiste chaque année à aller revoir certains films avec un éclectisme et un sens de l'analyse et de la citation critique remarquables: par exempleL'Homme blessé,mais aussi Les Ripoux, Shoah; des retours sur des duels célèbres à l'occasion de sortie de films, comme le duel Adjani/Huppert ou Truffaut/Godard […], des pages consacrées à la campagne présidentielle de 1981 (le cinéma était très présent dans les discours des candidats (Giscard cite Renoir, Vigo et Carné, Chirac des films qu'il a vu au cinéma et qu'il considère comme des grands films:La Boum,mais aussi, La Terrasse, Le Dernier métro, Un Mauvais fils...Est-ce qu'on imaginerait ça aujourd'hui?); mais aussi des entrées consacrées à la distribution, à la chronologie des médias… Sur l'arrivée encore timide des femmes dans la production, tout un chapitre détaille exhaustivement la liste des films réalisés par des femmes, et il est très intéressant de voir que le champion toutes catégories du cinéma français de cette décennie,3 hommes et un couffin,soit réalisé par une femme …C’est aussi la politique gouvernementale du cinéma, la manière dont elle va changer notre regard sur les images animées, la création de l'option cinéma au baccalauréat, par exemple, […] ce qu'on a appelé l'exception culturelle, qui est une expression qui passe dans le langage courant à la fin de cette décennie, François Mitterrand qui pose les bases de ce que va devenir l'action de l'Etat en faveur du cinéma pendant une décennie et dont on voit encore aujourd'hui les effets qu’aborde ce livre qui, dans une sorte virtuosité dans les citations et un style enlevé nous raconte l'aventure du cinéma et de l'audiovisuel pendant cette décennie, année par année."
Extraits sonores
- Extrait de Last Action Hero(1993) – Die Hard ( Piège de cristal ) (1988) – The Hunt for Red October (A la poursuite d’Octobre Rouge) (1990) – Predator(1987) deJohn McTiernan
- Sinnerman parNina Simone (dans la B.O. deThe Thomas Crown Affair (Thomas Crown )deJohn McTiernan (1999)
- Extrait de3 kilomètres jusqu’à la fin du monde, d'Emanuel Pârvu (2024)
- Fata Din Tramvai des Fratii Peste
- Extrait de3 hommes et un couffin de Coline Serreau (1985)
- Extrait d'Au revoir les enfants de Louis Malle (1987)